Nos projets de recherche

Natura 2000 : quels impacts sur les oiseaux nicheurs ?

Depuis la  « Loi sur la Conservation de la Nature » de 2001, la désignation des sites Natura 2000 en Wallonie a connu de nombreuses péripéties. Ce système de protection d’habitats rares et d’espèces patrimoniales est ambitieux et son implémentation n’est pas terminée. Le "bon état de conservation" est encore loin d’être atteint pour de nombreux habitats et espèces. Les pages sur la "Biodiversité en Wallonie" vous permettent de vous faire une idée de l’état d’avancement du dossier Natura 2000.

Sarcelle d'hiver (photo : Dominique Duyck)

Sarcelle d'hiver (photo : Dominique Duyck)

Pendant ce temps, animés par leur passion et leur volonté de voir se ralentir l’érosion de la biodiversité, les ornithologues ont continué à suivre l’évolution de l’avifaune en Wallonie. Dès la désignation des sites, leur expertise a été mise à contribution pour identifier les zones-noyaux pour les populations d’espèces Natura 2000. L’atlas des oiseaux nicheurs de Wallonie a ensuite permis d’affiner la connaissance sur les sites et des espèces qui les fréquentent. Aujourd’hui, les enquêtes menées sur le terrain et les nombreuses observations rassemblées par les portails d’encodage  permettent d’obtenir des informations cruciales sur l’avifaune. Une analyse récente de notre banque de données, publiée dans la revue Bird Census News , montre qu’entre 2010 et 2015, plus de 3.400 ornithologues ont réalisé ensemble plus de 76.000 "visites" dans le réseau Natura 2000 en Wallonie (une "visite" étant une journée avec au moins une observation dans un site par un ornithologue donné). Même si ces données concernent surtout les sites très fréquentés par les naturalistes, elles constituent néanmoins une base très utile pour comprendre comment évolue notre avifaune !

Figure extraite de l’article de Bird Census News : comment les données d’Observations.be sont mises à profit pour estimer l’effectif nicheur d’une espèce  Natura 2000, la Pie-grièche écorcheur, dans un site ardennais. La localisation précise de…

Figure extraite de l’article de Bird Census News : comment les données d’Observations.be sont mises à profit pour estimer l’effectif nicheur d’une espèce  Natura 2000, la Pie-grièche écorcheur, dans un site ardennais. La localisation précise de vos observations sur Observations.be est fondamentale !

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Les données des ornithologues amateurs sont donc rassemblées, synthétisées et complétées depuis 2006 par des inventaires spécifiques menés par une équipe d’ornithologues professionnels chez Aves, en collaboration avec le Département de l’Étude du Milieu Naturel et Agricole (DEMNA) de la Région wallonne. Un article publié dans le dernier numéro du Bulletin  fait la synthèse de ces travaux et nous permet aujourd’hui de faire le point sur l’évolution du statut des espèces pour lesquelles on s’est donné tant de mal à créer le réseau Natura 2000.

Photo : Vincent Leirens (à gauche) et Alain De Broyer, deux des ornithologues de l’équipe d’Aves, cherchant à localiser un nid de Milan royal en bordure d’un site Natura 2000 de la Province de Namur (photo : Rudi Dujardin).

Photo : Vincent Leirens (à gauche) et Alain De Broyer, deux des ornithologues de l’équipe d’Aves, cherchant à localiser un nid de Milan royal en bordure d’un site Natura 2000 de la Province de Namur (photo : Rudi Dujardin).

En bref, quels sont ces résultats ? Il y a bien sûr des situations qui ne s’arrangent guère : pensons à la Gélinotte, au bord de l’extinction, comme l’indique un autre article du Bulletin. Mais, globalement, les résultats pourraient se résumer comme ceci : sur 45 espèces Natura 2000 nicheuses dans les sites Natura 2000 wallons, 19 (42 %) s’y portent mieux, contre seulement 7 (16 %) qui ont évolué à la baisse.

C’est une bonne nouvelle, même si peu d’éléments nous permettent de l’associer aux mesures actives prises dans le réseau lui-même. En effet, ce qu’on observe en Wallonie est sans doute lié à la santé générale en Europe des populations d’espèces visées par Natura 2000. Une étude récente  montre en effet que les oiseaux ayant la bonne fortune de figurer sur la liste des espèces Natura 2000 (= annexe I de la directive oiseaux) présentent en moyenne des tendances de populations plus positives que celles qui n’y figurent pas. Et cela est d’autant plus vrai dans les états membres de l’Union Européenne de longue date, comme le sont les pays voisins du nôtre. Dès 2007, une équipe de la RSPB montrait l’existence d’une relation entre la proportion d’un pays couvert par Natura 2000 et la tendance plus positive des populations d’espèces dans ce pays. Pour chaque pourcent de surface supplémentaire protégé par Natura 2000, les chances de voir une population mieux se porter augmentent de 4 % pour une espèce non-Natura et jusque +7 % pour une espèce Natura (rappelons à ce propos que la Wallonie, avec ses 13 % de surface protégée par Natura 2000, se trouve en-dessous la moyenne européenne, qui s’élève à 18 %). Les mécanismes sous-jacents sont cependant encore mal compris.

Pour la Wallonie, notre synthèse met aussi en évidence des effets plus "régionaux". Les efforts importants fournis pour restaurer les fagnes, tourbières et landes de Haute Ardenne (dans le cadre de plusieurs projets LIFE  organisés en un "méta-projet") commencent à être récompensés par de bonnes surprises ornithologiques. Citons ici l’installation d’une population reproductrice de Sarcelle d’hiver dans les petites zones humides restaurées des plus hauts plateaux du pays. Les résultats sont parfois plus mitigés pour d’autres opérations de restauration ; ainsi, malgré un projet dédié au début des années 2000, les spécialistes des roselières (butor et autres blongios) ne sont pas en meilleure forme aujourd’hui.

Pie-grièche écorcheur mâle (Photo : René Dumoulin)

Pie-grièche écorcheur mâle (Photo : René Dumoulin)

Que retenir globalement de tout cela ?

  • Les espèces Natura 2000 vont globalement mieux, mais pas particulièrement mieux dans les sites Natura 2000 wallons qu’ailleurs. Certaines espèces conservent un statut précaire, voire en détérioration (l’Engoulevent d’Europe par exemple).
  • La restauration à grande échelle de milieux patrimoniaux commence à porter ses fruits et permet d’améliorer le statut des plusieurs espèces visées, y compris celui d’oiseaux en déclin global. Il est donc vraiment important de renforcer les programmes ambitieux de restauration des habitats d’espèces.
  • Pour mettre tout cela en évidence, le travail des ornithologues de terrain, avec une complémentarité évidente entre les professionnels et les volontaires, est fondamental. Continuons donc à observer, à participer aux enquêtes de terrain et à encoder nos observations de la manière la plus précise possible…

“[…] Simple yet robust population monitoring can play a significant role in assessing the success of supra-governmental conservation policies, […]. Much biodiversity monitoring is undertaken by volunteers, making it inexpensive relative to the costs of developing and implementing international policy.”   (Donald et al. (2007) Science, 317:810-813).

Milans Royaux des Cantons de l'Est: sur le départ...

Depuis 2014, avec d'autres partenaires, Aves participe à un projet visant à étudier l'écologie des milans royaux en Haute Ardenne belge (cantons de l'Est). Plusieurs individus sont équipés d'une balise GPS qui permet de suivre leurs déplacements en détail et de comprendre leur utilisation de l'espace vital. Le projet est présenté ici et peut être aussi suivi sur Facebook. Sur ce blog, nous vous proposons un résumé des dernières aventures de "nos" milans royaux.
photo Damien Sevrin (cc-by-nc-sa)

photo Damien Sevrin (cc-by-nc-sa)

Une nouvelle saison de reproduction s'est bien terminée pour les milans qui font partie de notre étude. Les conditions étaient moins bonnes en 2017 (plus faible abondance de leurs proies favorites, les campagnols...), ce qui s'est traduit par un plus faible nombre moyen de jeunes à l'envol. Cependant, nous avons le plaisir d'annoncer l'heureux événement de l'envol d'au moins un jeune pour les 8 territoires étudiés.

 

 

Depuis l'envol des jeunes fin juin-début juillet, les adultes suivis sont restés cloîtrés dans leur territoire respectif, à se remettre de leur travail de parents et à muer. Tout était calme depuis des semaines quand, à l'occasion de la magnifique météo du week-end dernier, deux éclaireurs sont partis en migration. Le hasard a voulu qu'il s'agisse des deux milans dont la balise est sponsorisée par le comité d'Aves-Liège (merci à nos valeureux liégeois !). Un mâle (suivi depuis 2016) surnommé "Tchantchès" et une femelle, d'un autre territoire, équipée en 2017: "Nanesse". Leur trajet respectif depuis leur départ (Tchantchès le samedi 14-10 et Nanesse le dimanche 15-10) et le 20 octobre est illustré sur l'image ci-dessous.

Trajets du début de la migration automnale de Nanesse (noir) et Tchantchès (turquoise). Les boules représentent leur lieu de halte en soirée (souvent un bosquet ou des arbres en lisière).

Trajets du début de la migration automnale de Nanesse (noir) et Tchantchès (turquoise). Les boules représentent leur lieu de halte en soirée (souvent un bosquet ou des arbres en lisière).

Les deux oiseaux traversent la France à un petit rythme (maximum 150 km le 18/10 par Tchantchès): Ardenne, Champagne, Bourgogne, Centre, Limousin...). Comme déjà observé les années précédentes, les distances quotidiennes peuvent être courtes mais dès lors qu'ils sont partis, ils progressent un peu chaque jour, sans stationner au même endroit.

Lorsque Nanesse a été équipée d'un GPS ce printemps, un mâle a également été capturé. Nous pensions qu'il pouvait s'agir de "son" mâle, même s'il avait encore un plumage immature. La suite nous a détrompé. Peu de temps après sa capture, cet jeune milan a choisi l'aventure. Il s'envole tout d'abord vers les Pays-Bas pour tourner plus vers l'est en direction de l'Allemagne. Les jours suivants, il poursuit son échappée vers le sud jusqu'aux Alpes dans l'ouest de l'Autriche pour reprendre ensuite vers la Suisse, avant de repartir vers le nord en survolant la Forêt Noire. En juin, il s'est installé une semaine en Thuringe (est de l'Allemagne). Quand il a repris du voyage, il s'est dirigé vers l'ouest dans la région de Münster et la partie septentrionale du Sauerland. Il ne s'est pas reposé pour autant puisqu'il s'est à nouveau déplacé, d'abord en Basse-Saxe et ensuite dans le nord de la Hesse où il a séjourné une semaine. Au cours de la deuxième semaine de Juillet, notre Vagabond finit par s'installer au nord-est de Francfort (sur la rivière Main), pour passer le reste de l'été.

Cet exemple illustre un aspect méconnu de la vie des milans royaux: alors qu'ils sont extrêmement fidèles à la fois à leur territoire de reproduction et d'hivernage une fois adulte, ils peuvent s'offrir de véritables périodes d'érratismes lors de leur jeunesse.

Érratisme estival du milan surnommé le "Vagabond', capturé sur le même territoire que Nanesse en 2017.

Érratisme estival du milan surnommé le "Vagabond', capturé sur le même territoire que Nanesse en 2017.

Le 14 octobre, soit le même jour que Tchantchès, notre jeune mâle a entamé sa migration automnale. Jusqu'ici, il semble suivre le même pattern et un même axe que ce que nous connaissons des adultes (il suit donc une ligne parallèle mais plus méridionale que "nos" adultes). Il se dirige à présent droit vers les Pyrénées, à un rythme quotidien semblable à celui des adultes.

Il sera vraiment intéressant de voir ce que cet oiseau va faire au printemps prochain: quel est finalement sa véritable patrie, où il va tenter de s'établir et de se reproduire ?

L'hiver qui vient, notre projet va permettre de suivre au total le destin de 8 adultes (en plus du Vagabond): Tchantchès et Nanesse, ainsi que 5 oiseaux toujours présents pour l'instant (21 octobre) dans leur territoire respectif des Cantons de l'Est: Archimède, Male Amel et Male Saint-Vith (suivis depuis 2014 déjà !), Male et Femelle Wallerode et Male Montenau.

À bientôt pour de nouvelles aventures !

Trajet migratoire du "Vagabond", depuis son départ de la région de Francfort le 14 octobre au 20 octobre.

Trajet migratoire du "Vagabond", depuis son départ de la région de Francfort le 14 octobre au 20 octobre.

Faut-il massacrer les perruches à Bruxelles ?

Depuis de nombreuses années, les ornithologues bruxellois participent activement au suivi du développement des populations des perruches exotiques  qui se sont installées dans la capitale belge. Grâce à ce travail collectif, Aves est devenue une référence pour les autorités bruxelloises en ce qui concerne ces oiseaux. Les psittacidés exotiques sont souvent considérés comme des « espèces exotiques envahissantes », c’est-à-dire des organismes qui, après avoir été introduits par l’homme dans une région du monde où ils ne sont pas naturellement présents, se propagent dans les milieux naturels et causent des dommages aux espèces indigènes et aux écosystèmes locaux.

Conure veuve Myiopsitta monachus © Magalie Tomas Millan

Conure veuve Myiopsitta monachus © Magalie Tomas Millan

Cette problématique a été explorée dans un projet scientifique de collaboration internationale appelé ParroNet – European Network on Invasive Parakeets, auquel Aves était tout naturellement associé. Alors que ce projet arrive à son terme, les spécialistes de la question des perruches invasives se sont rassemblés une dernière fois lors du workshop de clôture en septembre dernier. À cette occasion, nous avons cherché à savoir ce que pensait cette communauté d’experts sur la position à prendre concernant la Conure veuve et la Perruche alexandre à Bruxelles. 

Pour rappel, il y a trois espèces de perruches exotiques se reproduisant en Belgique (consultez la fiche descriptive ici) : la Perruche à collier, largement répandue en milieu urbain avec même des populations dans d’autres villes (La Louvière, Anvers…), la Conure veuve, conservant un effectif restant très faible et localisé à Bruxelles, et la Perruche alexandre, en expansion mais dont les effectifs actuels sont encore limités. Étant donné leur effectif encore peu étoffés, ces deux dernières espèces pourraient éventuellement faire l’objet de mesures de gestion visant à les éliminer à un stade précoce de l’invasion. Mais est-ce justifié?

Les réponses du groupe d’experts n’étaient pas unanimes. La majorité pense qu’il faut agir sans délai, pour les deux espèces, de manière à ne pas devoir gérer de problèmes graves par la suite. Plus précisément, ces spécialistes (par exemple représentant de la RSPB et BirdLife) préconisent de les retirer du milieu naturel (le moyen restant ouvert). La capture et la stérilisation pourrait être la solution la plus éthique possible, mais elle implique un suivi minutieux afin de s’assurer qu’il n’y ait plus de reproduction. Lors des discussions, un point de vue diamétralement opposé a également été soutenu par d’autres spécialistes: sous nos latitudes, les perruches en ville n’ont qu’un impact négligeable sur l’écosystème et il est possible qu’elles ne posent jamais de problème (ailleurs, comme en Espagne ou en Israël, des impacts sur les récoltes agricoles ont été mises en évidence). En éradiquant  systématiquement ces oiseaux familiers pour beaucoup dans l’espace urbain, on supprime un bon moyen de mettre les citadins en contact avec la nature, y compris dans les zones les plus urbanisées. 

Un lien a été fait ici avec l’application du fameux « principe de précaution », évoqué par les tenants de la solution d’éradication. Cependant, la décision d’appliquer ou non ce principe de précaution ne concerne pas forcément le monde scientifique, mais relève plutôt des décideurs politiques. Le rôle des scientifiques est de détailler les implications des différentes options possibles, mais c’est au politique à prendre la décision finale.

Une recommandation importante fait par contre l’unanimité : il faut absolument limiter les risques de nouveaux lâchers et de nouvelles introductions en interdisant  le commerce des perruches et perroquets, car le lien entre risque d’invasion et commerce a bien été mis en évidence. 

Perruche alexandre Psittacula eupatria © Magalie Tomas Millan

Perruche alexandre Psittacula eupatria © Magalie Tomas Millan

Pour poursuivre la réflexion…

Signalons deux publications récentes en lien avec cette problématique, auxquelles Aves-Natagora a contribué directement.

  • D’une part, les résultats d’un travail de fin d’étude mené par Caroline Debois à l’ULg (Gemboux Agro-BioTech) viennent d’être publiés dans la très belle revue Forêt.Nature. Un inventaire des cavités arboricoles disponibles à Bruxelles semble indiquer que la forte augmentation des perruches exotiques cavernicoles n’a pas entraîné de limitation de la ressource en cavités pour les oiseaux indigènes qui en dépendent. Seulement 17 % des cavités détectées ont été occupées par des oiseaux en 2016.
  • D’autre part, une publication importante concernant directement la nouvelle règlementation européenne sur les espèces exotiques envahissantes  vient d’être publiée dans le renommé « Journal of Applied Ecology ». Cet article est le résultat d’un travail conjoint de nombreux experts européens dont des représentants de BirdLife auxquels nous étions associés. Il fera l’objet d’un futur post sur ce blog ! Restez donc attentifs…

Nos recherches sur les perruches sont réalisées grâce à l’aide de nombreux volontaires ornithologues et avec le soutien de l’IBGE Bruxelles-Environnement. Merci à tous !


Références : 
DEBOIS, C., CLAESSENS, H., PAQUET, J.-Y. & WEISERBS, A. (2017): Étude de la disponibilité des cavités pour les oiseaux cavernicoles dans la Région de Bruxelles-Capitale. Forêt.Nature, 144: 10-20 (tiré à part disponible sur demande ]
CARBONERAS, C., GENOVESI, P., VILÀ, M., BLACKBURN, T.M., CARRETE, M., CLAVERO, M., D'HONDT, B., ORUETA, J.F., GALLARDO, B., GERALDES, P., GONZÁLEZ-MORENO, P., GREGORY, R.D., NENTWIG, W., PAQUET, J.-Y., PYŠEK, P., RABITSCH, W., RAMÍREZ, I., SCALERA, R., TELLA, J.L., WALTON, P. & WYNDE, R. (2017): A prioritised list of invasive alien species to assist the effective implementation of EU legislation. Journal of Applied Ecology. DOI : 10.1111/1365-2664.12997 (cette article est en accès ouvert).