Noël pour tous : la conversion de prairies intensives en plantations de sapins de Noël modifie-t-elle les communautés d’oiseaux ?

Les milieux agricoles ont subi, ce dernier demi-siècle, une intensification des pratiques qui a entrainé une diminution sévère des conditions favorables à la biodiversité qui leur est associée. Depuis quelques décennies, un nouveau développement se marque par l’arrivée de cultures dites « non alimentaires » : dans notre région, il s’agit par exemple de plantations de miscanthus (production d’agro-carburants) et surtout des plantations de sapins de Noël (PSN).
En Wallonie, les superficies destinées à la production de sapins de Noël ont fortement augmenté. Elles totalisent environ 5.000 ha et sont majoritairement situées dans les zones agricoles d’Ardenne, où elles remplacent le plus souvent des prairies relativement intensives. Au vu du déclin que connaissent actuellement les populations d’un bon nombre d’oiseaux des milieux agricoles, il est important de se questionner sur les effets de cette conversion. C’était l’objectif principal d’une étude menée en Ardenne par l’ULg – Gembloux Agro-Bio Tech, qui vient d’être publiée récemment dans la revue « Agriculture, Ecosystems & Environment »
 

Parcelles de sapins de Noël et prairies pauvres en haies, en Ardenne. (Photo : Robin Gailly)

Parcelles de sapins de Noël et prairies pauvres en haies, en Ardenne. (Photo : Robin Gailly)

Des relevés ornithologiques par points d’écoute ont été menés dans des PSN et des prairies lors de la saison de nidification 2013, en Ardenne occidentale (principalement à Gedinne et à Bièvre), afin de comparer les communautés d’oiseaux entre ces deux habitats. Il en ressort que l’effet de la conversion de prairies en PSN dépend de la quantité de haies présente dans les environs immédiats. Dans le cas d’une faible densité de haies, l’apparition d’une PSN va augmenter localement le nombre d’espèces d’oiseaux et le nombre d’individus. Par contre, dans un contexte riche en haies (à partir d’environ 70 m de haies par ha), la présence de sapins de Noël n’enrichit plus la communauté d’oiseaux. Ceci est illustré par la figure ci-dessous, sur laquelle on remarque bien deux choses : 

  • la relation positive qui existe entre la quantité d’oiseaux (mesurée par un indicateur qui combine nombre d’espèces et abondances) et la longueur de haies dans les prairies ardennaises
  • La richesse supérieure des PSN par rapport aux prairies, qui s’amenuise avec l’augmentation de la densité en haies.
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Quatre espèces se sont révélées être particulièrement présentes dans les PSN. Il s’agît de la Linotte mélodieuse, du Bruant jaune, de l’Accenteur mouchet et du Tarier pâtre. Par contre, nous n’avons pas identifié d’espèce répandue en prairies qui disparaitrait systématiquement à cause de l’introduction de PSN.

Bruant jaune, Linotte mélodieuse, Tarier pâtre et Accenteur mouchet sont des espèces fréquentes dans les PSN. (Photos : Robin Gailly)

Bruant jaune, Linotte mélodieuse, Tarier pâtre et Accenteur mouchet sont des espèces fréquentes dans les PSN. (Photos : Robin Gailly)

Ces résultats pourront paraître inattendus aux naturalistes qui s’inquiètent de l’extension des cultures de sapins de noël ; il est toutefois important de garder à l’esprit le contexte dans lequel cette étude a été menée. En effet, la majorité des prairies ardennaises connaissent une gestion relativement intensive : deux ou trois fauches par an pour les prairies de fauche et une densité en bétail souvent élevée dans les pâtures. A cela s’ajoute une pauvreté en éléments semi-naturels et en haies, si bien que les espèces plus exigeantes, comme la Pie-grièche grise, le Tarier des prés ou le Pipit farlouse, se sont d’ores et déjà fortement raréfiés ou ont disparu. Dans un tel contexte, les PSN recréent de l’hétérogénéité structurelle là où les haies font défaut et créent ainsi des habitats de substitution pour plusieurs espèces.
Dans les PSN, la disponibilité en ressources alimentaires (graines et/ou insectes) dont les oiseaux ont besoin pour eux-mêmes et pour leurs jeunes est largement dépendante de la gestion des plantes adventices. Dans le cas d’une gestion intensive de ces adventices par herbicide ou fauches fréquentes, les oiseaux devraient alors aller se nourrir à l’extérieur des parcelles, et dès lors des PSN de grande taille deviendraient défavorables, de même qu’une saturation des paysages agricoles par des PSN.
Les PSN, de préférence de taille raisonnable et avec une gestion des adventices la plus extensive possible, devraient donc préférentiellement être introduites dans des zones de prairies intensives où les densités de haies sont faibles, de manière à ce qu’elles constituent une opportunité pour augmenter l’hétérogénéité structurelle des paysages agricoles appauvris et puissent ainsi bénéficier aux oiseaux de ces milieux.
N’oublions pas cependant que ce n’est pas le tout qu’un oiseau s’installe dans un milieu de substitution parce que la structure est favorable : il faut encore qu’il puisse y élever ses nichées avec succès. Nous poursuivons donc l’étude actuellement en comparant le succès reproducteur d’une espèce modèle, le tarier pâtre, dans différents types de milieux, dont les sapins de Noël.


Référence complète de l’article : GAILLY, R., PAQUET, J.-Y., TITEUX, N., CLAESSENS, H. & DUFRÊNE, M. (2017): Effects of the conversion of intensive grasslands into Christmas tree plantations on bird assemblages. Agriculture, Ecosystems & Environment, 247: 91-97.