Découvertes

Où se trouvent les dortoirs à Bruxelles et quelles espèces y dorment ?

Chaque soir, des milliers d’oiseaux se regroupent à différents endroits de la Région pour passer la nuit en groupe. Ces dortoirs ont plusieurs avantages : l’effet de groupe protège des prédateurs,  les “rencontres” permettent d’échanger des informations sur la localisation de nourriture…

Dortoir de laridés dans un site industriel à Liège. Photo : Louis Bronne

La découverte de ces dortoirs permet de mieux protéger les sites utilisés, indispensables au cycle de vie des oiseaux. De plus, l’arrivée d’oiseaux, tels les étourneaux, dans leurs dortoirs est toujours un spectacle impressionnant. L’observateur est souvent surpris de voir le nombre d’oiseaux qui peuvent se réunir pour passer la nuit, parfois dans des endroits très confinés.

Depuis plus de 30 ans, Aves, le pôle ornithologique de Natagora, étudie notamment la répartition et les effectifs des Grands Cormorans aux dortoirs en Wallonie et à Bruxelles. Ces comptages sur le long terme on permis de connaître l’évolution de la population de cet oiseau piscivore et de la mettre en parallèle avec les modifications de la composition en poissons dans les cours d’eau, résultats publiés dans une revue internationale.

Nous profitons de la mobilisation des observateurs dans le cadre de l’Atlas des oiseaux de Bruxelles pour inciter à chercher les dortoirs hivernaux dans la Région. Où se trouvent-ils ? Quelles sont les espèces que l’on trouve en dortoirs à Bruxelles ? Combien y a-t-il d’individus ? Et surtout, comment protéger au mieux les sites de dortoir ? Votre contribution pourra aider à répondre à toutes ces questions dans un but de protection des sites et des espèces.

La carte ci-dessous montre les dortoirs qui ont déjà été signalés à Bruxelles via www.observations.be. En trouverez-vous de nouveaux ?

Localisation des dortoirs d’oiseaux à Bruxelles. Données Natagora / www.observations.be

Il existe des dortoirs fixes, qui sont occupés à la même période d’année en année (cormorans, perruches) et d’autres plus temporaires utilisés parfois quelques nuits sur l’année seulement. Plusieurs dizaines d’espèces sont concernées.

Comment chercher et dénombrer les dortoirs ?

Photo de couverture : Antoine Derouaux

La découverte d’un dortoir est souvent le fruit du hasard. Il faut chercher à l’aube et au crépuscule près des zones de végétation dense, suivre les lignes de vol des oiseaux…

Le dénombrement des oiseaux au dortoir se fait soit en comptant les oiseaux posés, si les conditions de luminosité et la densité du feuillage le permettent, soit en comptant les oiseaux arrivant à la tombée de la nuit, parfois jusque bien après le coucher du soleil. Il est aussi possible de compter au départ du dortoir, souvent avant l’aube.

Pour les gros dortoirs et les dortoirs rassemblant plusieurs espèces, le mieux est d’aller dénombrer les individus à deux ou plus pour se focaliser chacun sur une espèce et/ou confronter ses résultats.

La méthode est présentée en détail dans un document rédigé par Maurice Segers à télécharger en cliquant sur ce lien.

Dans tous les cas, si vous trouvez un dortoir à Bruxelles ou en Wallonie, pensez à encoder l’emplacement précis du site, l’espèce ou les espèces présentes et surtout choisissez bien le comportement “DORTOIR” dans observations.be, iObs ou ObsMapp. Mettez ensuite tous les commentaires que vous jugez utiles dans le cadre de remarque. Plus la description est précise, plus il sera facile d’intégrer les données dans nos statistiques et plus ce sera facile de protéger le site si nécessaire.

A vos jumelles !

Maurice Segers, Marius Pailhès et Antoine Derouaux

La Revue Aves 58/3 est parue

Vous trouverez ci-dessous l’éditorial de la Revue Aves 58/3 consacrée au rapport de la BRBC et aux Dénombrements Hivernaux des Oiseaux d’eau. Vous pouvez vous abonner à notre revue via ce lien.

"Avec l’ignorance des noms disparaît la connaissance des choses. " Cet adage repris par Linné dans sa Philosophia Botanica résonne pour nous comme un credo : lorsqu'il ne s'agit pas d'une finalité, nommer constitue la première étape de toute démarche ornithologique. Il n'est pas surprenant dès lors que la stabilité apparaisse comme un objectif central pour la taxonomie. Cette stabilité passe aujourd'hui par l'utilisation de listes de références, dont deux sont bien connues des ornithologues belges : celles de l'IOC International Ornithological Congress, suivie par Observations.be et le BRBC, Belgian Rare Birds Committee) et de HBW/BirdLife (issue de la série des Handbook of the Birds of the World, suivie par la Liste Rouge par exemple). Mais comment expliquer l'absence de consensus ? Il nous faut pour cela comprendre les éléments de subjectivité, dans les concepts comme dans la méthode, et d'incertitude présents dans l'élaboration d'une classification.

La publication des théories sur l'évolution de Darwin et Wallace donne une nouvelle dimension à la classification : le temps. Nommer et classer se transforme en un travail d'enquête qui vise à dessiner l'arbre généalogique du vivant. Cette dimension temporelle donne du sens à la classification et justifie la complexité de la démarche : les phénomènes de spéciation s'inscrivant dans une échelle de temps long, une coupe transversale dans notre arbre ne produira pas toujours des entités discrètes. Ce flou relatif autour d'un embranchement introduira un certain niveau de subjectivité dans notre conception même de l’espèce.

Une fois ce choix conceptuel opéré, les taxonomistes ont à leur disposition une série de méthodes pour tenter de comprendre si des populations suivent bien des trajectoires évolutives indépendantes. Si certains de ces outils, génétiques notamment, sont peu accessibles aux ornithologues de terrain, d'autres (e.a. analyses sonores, morphologiques, comportementales ou écologiques) restent à notre portée. Mais le poids que l’on confère à ces résultats amène un niveau supplémentaire de subjectivité.

Indépendamment des choix opérés par les différentes listes, leur exactitude dépendra toujours du niveau de connaissance de l'avifaune à un moment donné. Il reste, même dans nos régions, des lacunes importantes dans notre compréhension des relations évolutives entre les différentes espèces. La description de la Fauvette passerinette Curruca iberiae désormais séparée de ses cousines orientales ne date ainsi que de 2013 !

Les noms vernaculaires, quant à eux, ne répondent pas aux mêmes lois que les noms scientifiques et sont ainsi soumis aux questionnements de notre époque. Le mouvement Bird Names for Birds qui milite pour l'abandon des éponymes offre par exemple une réflexion pertinente sur l’histoire de l’ornithologie.

Les fluctuations taxonomiques, loin d’être des facéties d’ornithologues de salon, sont le reflet d’une culture ornithologique dynamique, de notre connaissance du vivant et de sa complexité. Si au sein de ce bulletin, un même canard porte deux noms, réjouissons-nous-en !

Olivier Dupont,

membre du comité de lecture Aves et membre du staff Natagora

Vous trouverez sur ce lien toutes les publications de la Revue Aves depuis ses débuts en 1964 !

Vers des "printemps silencieux" ?

L’essai “Printemps silencieux”, publié en 1962 par la biologiste Rachel Carson, est souvent considéré comme une des œuvres fondatrices du mouvement écologiste. L’ouvrage dénonce le rôle des pesticides dans le déclin des oiseaux chanteurs. On ne peut s’empêcher de repenser à ce livre à la lecture d’un article récemment publié dans “Nature Communications” intitulé: “Bird population declines and species turnover are changing the acoustic properties of spring soundscapes” (en français: “Le déclin des populations d’oiseaux et les changements dans la composition en espèces sont en train de modifier les propriétés acoustiques du paysage sonore printanier”). Cette étude originale, à laquelle Aves a été associée, s’appuie sur deux importants projets de sciences participatives auxquels vous contribuez peut-être : le suivi des populations des oiseaux communs et xeno-canto, la sonothèque ornithologique collaborative.

Un des éléments les plus virtuoses de notre avifaune: le Rossignol philomèle Luscinia megarhynchos (photo: René Dumoulin)

L’équipe de chercheurs, menée par Catriona Morrison et Simon Butler de l’Université d’East Anglia (Grande-Bretagne), étudie la question de l’appauvrissement du lien entre l’homme et la nature. Les « paysages sonores naturels » sont particulièrement susceptibles de contribuer à former ce lien, puisque chacun peut les percevoir dans son quotidien, en particulier au printemps, grâce aux vocalises omniprésentes des oiseaux. De sa fenêtre ouverte, sur le chemin du travail, pendant ses loisirs, tout le monde entend, même de manière inconsciente, le chant des oiseaux. Dans quelle mesure ce paysage sonore s’est-il modifié au cours du temps ? Pas simple d’objectiver le phénomène : il n’existe évidemment pas d’archives auditives standardisées des chœurs matinaux. Les chercheurs ont ici utilisé toute la puissance de la bio-informatique et des sciences participatives pour reconstituer artificiellement les paysages sonores historiques et tester leurs hypothèses.

Le procédé mobilise tout d’abord les relevés servant aux suivis des populations à travers toute l’Europe et l’Amérique du Nord pour dresser des listes historiques des assemblages d’individus présents sur chacun des points d’échantillonnage. C’est à cette fin que les données des suivis « points d’écoute » de Wallonie et de Bruxelles ont été incluses dans l’analyse. Au total, cela représente près de 220.000 points d’échantillonnage, répartis sur deux continents, suivis pendant 25 ans. Ensuite, pour chacune des espèces rencontrées, une sélection des chants enregistrés sur Xeno-canto ont été téléchargés. Pour chaque lieu d’échantillonnage et chaque année, une bande-son vide a été « peuplée » virtuellement par les chants des oiseaux réellement signalés par les observateurs, avec une variation aléatoire de l’intensité pour mimer les conditions réelles, et surtout un nombre d’inclusions du chant dépendantes du nombre d’individus signalés dans le comptage réel : le paysage sonore de l’échantillonnage est ainsi reconstitué.

Vous pouvez écouter un exemple de ces reconstitutions: c’est bluffant, on peut même s’amuser à refaire le point d’écoute. Il s’agit d’un même point d’échantillonnage reconstitué ici pour 1998:

et ci-dessous pour 2018. Fermez les yeux et comparez les deux reconstitutions. Que vous disent vos oreilles ?

Vous aurez certainement perçu un volume plus élevé, un fouillis plus complexe, mais aussi plus mélodieux pour l’enregistrement de 1998, alors que l’enregistrement de 2018 est moins vivant, contenant même certains blancs, et en fin de compte moins agréable à l’oreille. Évidemment cet exemple choisi est extrême, mais il est bien illustratif de la tendance que l’étude met en évidence. Pour chacun des enregistrements reconstitués, quatre indices reflétant la « qualité et la richesse » sonores ont été calculés. L’évolution de ces quatre indices, sur les deux continents, suggère que les paysages sonores sont devenus significativement plus homogènes et plus calmes depuis 1990.

Variation annuelle de l’Index de Diversité Acoustique, ADI (a,b), de l’Index d’Uniformité Acoustique, AEI (c,d), de l’Index Bioacoustique BI (e,f) et de l’Entropie Acoustique H (g,h) en Amérique du Nord (colonne de gauche) entre 1996 et 2017 et en Europe (colonne de droite) entre 1998 et 2018. La diminution de ADI, BI et H, associé à l’augmentation de AEI, signifie que le paysage sonore de nos printemps est devenu plus calme et moins varié avec le temps.
Source: https://www.nature.com/articles/s41467-021-26488-1/figures/3

Cette perte de diversité sonore ne s’est pas produite de la même manière partout, et la qualité des chœurs s’est même améliorée par exemple au nord de la Scandinavie. Malheureusement, elle s’est particulièrement dégradée dans notre partie de l’Europe. Comme on pouvait s’y attendre, il y a une forte corrélation entre les changements de la qualité du paysage sonore et l’évolution de la diversité et de l’abondance des espèces. Mais la corrélation n’est pas parfaite : la composition en espèces et sans doute les interactions vocales entre elles influencent aussi la qualité des sons produits.

Cette étude est importante, car elle démontre une dégradation d’un des liens forts qui nous lie à notre environnement. Un paysage sonore qui nous paraît « dans la norme » maintenant apparaitrait sans doute comme pauvre pour une personne vivant dans les années ‘90. Cela n’est probablement pas sans conséquence sur notre état de connexion à la nature, mais aussi sur notre bien-être.