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État de l'avifaune des milieux agricoles en Wallonie 2021

Photo de couverture : Denis Delangh

En Wallonie, les populations d’oiseaux communs sont suivies depuis 1990 grâce à des ornithologues volontaires qui dénombrent les oiseaux présents lors de points d’écoutes répétés chaque année au même endroit et au même moment. L’analyse des données issues de ces suivis permet de connaître l’évolution des espèces typiques des milieux agricoles.

Celles-ci sont dans une situation de plus en plus précaire : deux espèces sont en forte augmentation (Tarier pâtre, Pie-grièche écorcheur), deux sont en légère augmentation (Faucon crécerelle, Fauvette grisette), deux sont stables (Corbeau freux, Bergeronnette printanière) et les 11 autres espèces déclinent de façon plus ou moins marquée : deux ont perdu moins de 50 % de leurs effectifs (Linotte mélodieuse, Hirondelle rustique) quatre ont perdu entre 50 et 80% de leurs effectifs (Bruant jaune, Etourneau sansonnet, Alouette des champs, Vanneau huppé) et 5 espèces ont connu un déclin tel que plus de 80 % des effectifs ont disparu (Bruant proyer, Perdrix grise, Tourterelle des bois, Moineau friquet, Pipit farlouse).

L’indice des oiseaux agricole, qui combine l’évolution de ces 17 espèces, indique un déclin annuel de 2,7%, ce qui correspond à un déclin de 59,4 % par rapport au niveau de 1990.

Évolution des populations de 17 espèces d’oiseaux des milieux agricoles en Wallonie depuis 1990.

Le déclin des oiseaux des milieux agricoles est pourtant tout sauf une fatalité. Les mesures à prendre pour protéger notre avifaune agricole sont déjà largement connues et éprouvées. À la différence de certaines espèces forestières dont l’habitat peut prendre des centaines d’années pour être restauré, il est réaliste d’espérer l’amélioration de l’état d’au moins une partie des espèces dans un laps de temps beaucoup plus court, à condition d’accroître l’ambition environnementale de la politique agricole commune (PAC).

Pour en savoir plus, découvrez l’état de l’avifaune des milieux agricoles de Wallonie 2021.

Le Moineau friquet, jadis assez commun et répandu, voit ses effectifs diminuer de manière inquiétante depuis 2006.

Photo : Rachel Delmelle

Vers des "printemps silencieux" ?

L’essai “Printemps silencieux”, publié en 1962 par la biologiste Rachel Carson, est souvent considéré comme une des œuvres fondatrices du mouvement écologiste. L’ouvrage dénonce le rôle des pesticides dans le déclin des oiseaux chanteurs. On ne peut s’empêcher de repenser à ce livre à la lecture d’un article récemment publié dans “Nature Communications” intitulé: “Bird population declines and species turnover are changing the acoustic properties of spring soundscapes” (en français: “Le déclin des populations d’oiseaux et les changements dans la composition en espèces sont en train de modifier les propriétés acoustiques du paysage sonore printanier”). Cette étude originale, à laquelle Aves a été associée, s’appuie sur deux importants projets de sciences participatives auxquels vous contribuez peut-être : le suivi des populations des oiseaux communs et xeno-canto, la sonothèque ornithologique collaborative.

Un des éléments les plus virtuoses de notre avifaune: le Rossignol philomèle Luscinia megarhynchos (photo: René Dumoulin)

L’équipe de chercheurs, menée par Catriona Morrison et Simon Butler de l’Université d’East Anglia (Grande-Bretagne), étudie la question de l’appauvrissement du lien entre l’homme et la nature. Les « paysages sonores naturels » sont particulièrement susceptibles de contribuer à former ce lien, puisque chacun peut les percevoir dans son quotidien, en particulier au printemps, grâce aux vocalises omniprésentes des oiseaux. De sa fenêtre ouverte, sur le chemin du travail, pendant ses loisirs, tout le monde entend, même de manière inconsciente, le chant des oiseaux. Dans quelle mesure ce paysage sonore s’est-il modifié au cours du temps ? Pas simple d’objectiver le phénomène : il n’existe évidemment pas d’archives auditives standardisées des chœurs matinaux. Les chercheurs ont ici utilisé toute la puissance de la bio-informatique et des sciences participatives pour reconstituer artificiellement les paysages sonores historiques et tester leurs hypothèses.

Le procédé mobilise tout d’abord les relevés servant aux suivis des populations à travers toute l’Europe et l’Amérique du Nord pour dresser des listes historiques des assemblages d’individus présents sur chacun des points d’échantillonnage. C’est à cette fin que les données des suivis « points d’écoute » de Wallonie et de Bruxelles ont été incluses dans l’analyse. Au total, cela représente près de 220.000 points d’échantillonnage, répartis sur deux continents, suivis pendant 25 ans. Ensuite, pour chacune des espèces rencontrées, une sélection des chants enregistrés sur Xeno-canto ont été téléchargés. Pour chaque lieu d’échantillonnage et chaque année, une bande-son vide a été « peuplée » virtuellement par les chants des oiseaux réellement signalés par les observateurs, avec une variation aléatoire de l’intensité pour mimer les conditions réelles, et surtout un nombre d’inclusions du chant dépendantes du nombre d’individus signalés dans le comptage réel : le paysage sonore de l’échantillonnage est ainsi reconstitué.

Vous pouvez écouter un exemple de ces reconstitutions: c’est bluffant, on peut même s’amuser à refaire le point d’écoute. Il s’agit d’un même point d’échantillonnage reconstitué ici pour 1998:

et ci-dessous pour 2018. Fermez les yeux et comparez les deux reconstitutions. Que vous disent vos oreilles ?

Vous aurez certainement perçu un volume plus élevé, un fouillis plus complexe, mais aussi plus mélodieux pour l’enregistrement de 1998, alors que l’enregistrement de 2018 est moins vivant, contenant même certains blancs, et en fin de compte moins agréable à l’oreille. Évidemment cet exemple choisi est extrême, mais il est bien illustratif de la tendance que l’étude met en évidence. Pour chacun des enregistrements reconstitués, quatre indices reflétant la « qualité et la richesse » sonores ont été calculés. L’évolution de ces quatre indices, sur les deux continents, suggère que les paysages sonores sont devenus significativement plus homogènes et plus calmes depuis 1990.

Variation annuelle de l’Index de Diversité Acoustique, ADI (a,b), de l’Index d’Uniformité Acoustique, AEI (c,d), de l’Index Bioacoustique BI (e,f) et de l’Entropie Acoustique H (g,h) en Amérique du Nord (colonne de gauche) entre 1996 et 2017 et en Europe (colonne de droite) entre 1998 et 2018. La diminution de ADI, BI et H, associé à l’augmentation de AEI, signifie que le paysage sonore de nos printemps est devenu plus calme et moins varié avec le temps.
Source: https://www.nature.com/articles/s41467-021-26488-1/figures/3

Cette perte de diversité sonore ne s’est pas produite de la même manière partout, et la qualité des chœurs s’est même améliorée par exemple au nord de la Scandinavie. Malheureusement, elle s’est particulièrement dégradée dans notre partie de l’Europe. Comme on pouvait s’y attendre, il y a une forte corrélation entre les changements de la qualité du paysage sonore et l’évolution de la diversité et de l’abondance des espèces. Mais la corrélation n’est pas parfaite : la composition en espèces et sans doute les interactions vocales entre elles influencent aussi la qualité des sons produits.

Cette étude est importante, car elle démontre une dégradation d’un des liens forts qui nous lie à notre environnement. Un paysage sonore qui nous paraît « dans la norme » maintenant apparaitrait sans doute comme pauvre pour une personne vivant dans les années ‘90. Cela n’est probablement pas sans conséquence sur notre état de connexion à la nature, mais aussi sur notre bien-être.

Stop à la chasse de la Tourterelle des bois !

Cet été, la France a mis en consultation publique un projet d’arrêté autorisant le prélèvement de près de 18.000 Tourterelle des bois pendant la saison de chasse 2020-2021.

Tourterelles des bois Streptopelia turtur (c) Olivier Colinet

Tourterelles des bois Streptopelia turtur (c) Olivier Colinet

Il est légitime que des voix s’élèvent de chez nous aussi face à ce qui semble être une aberration: la poursuite à tout prix de la chasse à une espèce maintenant classée dans les espèces menacées d’extinction au niveau global par l’UICN. Voici ce que j’ai donc répondu à la consultation publique:

La Tourterelle des bois est en déclin rapide dans toute l'Europe, en particulier en Europe de l'Ouest. Il s'agit même d'un des déclins les plus rapides observés dans l’avifaune européenne. La Belgique ne fait pas exception : le dernier rapport sous l'article 12 de la Directive Oiseaux montre une perte d'environ 90% des effectifs depuis le vote de cette directive en 1979. La population de Tourterelle des bois est maintenant estimée à moins de 3.000 couples en Belgique. Le carte des reprises de 229 Tourterelles des bois baguées en Belgique (consultables sur le site de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique : https://odnature.naturalsciences.be/bebirds/fr/ring-recoveries) suggère que ces quelques milliers d’oiseaux migrent à travers l’ouest de la France et l’Espagne.

En tant que directeur du Département Études de Natagora, une des principales associations belges de conservation de la nature, forte de 25.000 membres, je voudrais signifier notre plus stricte opposition à votre projet d’arrêté autorisant le prélèvement de 17.460 Tourterelle des bois en France pour la saison 2020-2021. Nous vous demandons de suivre votre propre Comité d’Experts qui vous a recommandé le 13 mai 2019 de fixer le quota de prélèvement à 0. En 2019, une équipe internationale composée notamment d’experts de votre renommé Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage a également démontré que les prélèvements actuels étaient largement non-soutenables étant donné la situation catastrophique de l’espèce (Lormée et al., 2019. Assesing the sustainability of harvest of the European Turtle-dove along the Western European flyway. Bird Conservation International: 1-16. doi:10.1017/S0959270919000479). Nous vous demandons avec insistance de tenir compte de ces éléments scientifiques et de suspendre toute chasse à cette espèce migratrice menacée sur votre territoire. C’est indispensable pour ne pas compromettre les efforts entrepris, au travers du Plan d’Action Européen, pour la sauvegarde de cet oiseau emblématique de nos campagnes.

Évolution de l’indice d’abondance relatif de la Tourterelle des bois en Wallonie, déterminée par la Surveillance des Oiseaux Communs de Wallonie (données AVES-SPW-DEMNA).

Évolution de l’indice d’abondance relatif de la Tourterelle des bois en Wallonie, déterminée par la Surveillance des Oiseaux Communs de Wallonie (données AVES-SPW-DEMNA).