printemps

Un migrateur qui enchante les forêts printanières : la Grive mauvis

En mars et tout début avril, dans les forêts à peine sorties de l’hiver, au milieu des premiers chants des oiseaux sédentaires, c’est toujours un grand plaisir d’entendre un chœur étrange, qui rappelle de loin le chahut d’un groupe d’étourneaux, émaillé de notes sifflées un peu mélancoliques. L’ornithologue est souvent surpris la première fois qu’il finit par découvrir les auteurs de ce raffut : des Grives mauvis en halte migratoire.

Une grive mauvis dans un lierre en début de printemps (photo: Tony Sutton CC-BY-NC)

Une grive mauvis dans un lierre en début de printemps (photo: Tony Sutton CC-BY-NC)

Ce « chant » communautaire de la Grive mauvis pendant la migration printanière est particulier car, à moins d’être très près du groupe, il apparaît souvent comme un bruit de fond indistinct. Il est cependant bien caractéristique quand on a l’habitude. En voici quelques exemples, tirés du site xeno-canto.

Le premier enregistrement vient d’Allemagne; on entend le chœur indistinct mais avec les notes sifflées en répétition du « vrai » chant de la Grive mauvis, caractéristique des forêts scandinaves (par exemple à 1’02” de l’enregistrement)

Le deuxième, assez typique également, vient d’un groupe en halte en Haute Ardenne…

Le dernier est un enregistrement pris de ma terrasse pendant ce confinement, en fin de journée. Un groupe de plusieurs dizaines de mauvis est posé dans une grande haie voisine. Le chœur s’interrompt brusquement à la seconde 18, le contraste est saisissant. Quelques secondes plus tard, tout le groupe prend son envol, peut-être suite à l’attaque d’un épervier.

Le milieu forestier où ces observations printanières se déroulent est assez surprenant, car la plupart des passereaux migrateurs s’arrêtent plutôt dans les milieux ouverts ou buissonnants. La Grive mauvis ne fait, la plupart du temps, pas exception. Ainsi, sur plus de 3000 données de cette espèce signalée comme « posée » en Wallonie, 42 % sont localisées dans des prairies (1). Cependant, comme on le voit sur le graphique ci-dessous, en mars, au cours de la migration de printemps, la proportion de groupes signalés en forêt monte à plus de 30 % des observations.

Répartition mensuelle des observations des Grives mauvis signalées posées selon le milieu où elles sont localisées, d’après Observations.be et l’habitat défini par les Ecotopes. (1)

Grive mauvis et Lierre grimpant (photo: Charly Farinelle)

La ressource qui attire probablement la majorité de ces grives dans la forêt est le lierre grimpant, cette liane produisant des baies consommées par de nombreuses espèces à cette époque de l’année, étant donné que la plupart des autres baies sont déjà consommées depuis longtemps.

Remarquons que la mauvis est observée proportionnellement plus souvent en halte au cours de la migration de retour qu’à celle d’automne, où une majorité des observations concernent des migrateurs actifs, remplissant notre ciel d’octobre des fameux sifflements de contact.

Répartition mensuelle des observations de Grive mauvis en Wallonie et à Bruxelles en fonction du comportement signalé (en migration active, posé ou non renseigné) (1). Dans nos régions, la mauvis est beaucoup plus souvent signalée au cours des deux passages qu’au coeur de l’hiver.

Observer des groupes de Grives mauvis en forêt me procure toujours une grande émotion, car, en plus d’être un oiseau élégant, c’est un migrateur extraordinaire à plusieurs égards.

Alors que son aire de répartition s’étend de l’Europe du Nord jusqu’au fin fond de la Sibérie orientale, cette espèce n’hiverne que dans le Paléarctique occidental. Ainsi, les individus qui nichent au bord du fleuve Kolyma, aux confins de la Russie, doivent au minimum parcourir 6.500 km pour atteindre les zones d’hivernage connues les plus proches, au bord de la Caspienne.

Aire de répartition mondiale de la Grive mauvis selon la Datazone de BirdLife. En jaune: aire de nidification, en bleu: hivernage. En vert: passage uniquement. Environ 60% de la population niche en Asie mais pratiquement toute la population hiverne …

Aire de répartition mondiale de la Grive mauvis selon la Datazone de BirdLife. En jaune: aire de nidification, en bleu: hivernage. En vert: passage uniquement. Environ 60% de la population niche en Asie mais pratiquement toute la population hiverne en Europe.

De plus, la Grive mauvis se caractérise, au contraire de nombreux passereaux, par une faible fidélité à sa zone d’hivernage. Un même individu peut passer l’hiver dans l’ouest de l’Europe puis se retrouver dans la Caucase l’hiver suivant. Ce phénomène est visible sur cette carte des mauvis baguées ou reprises en Belgique , disponible sur le site du Centre belge de baguage de l’IRSNB.

Carte des reprises des Grives mauvis baguées en Belgique (source: IRSNB) (en bleu: baguée en Belgique, reprise ailleurs; en rouge: baguée ailleurs, reprise en Belgique). Remarquez l’oiseau bagué en juillet 1995 au centre de la Russie asiatique, repr…

Carte des reprises des Grives mauvis baguées en Belgique (source: IRSNB) (en bleu: baguée en Belgique, reprise ailleurs; en rouge: baguée ailleurs, reprise en Belgique). Remarquez l’oiseau bagué en juillet 1995 au centre de la Russie asiatique, repris le 1er novembre suivant en Belgique à plus de 5000 km de là. Au moins 6 individus ont été capturés chez nous et repris dans le Caucase jusqu’à deux ou trois hivers plus tard.

Il faut souligner que cet erratisme spectaculaire n’est pas nécessairement la norme chez cette espèce : une proportion importante des reprises de baguage en Europe de l’ouest se réalisent quand même dans la même région d’un hiver à l’autre (2). Thomas Alerstam, dans un passionnant livre sur la migration publié il y a plus de 30 ans (3), suggérait, sur base de ses observations de la migration massive des grives en Scandinavie réalisées au radar, que le choix de la zone d’hivernage (orientale ou occidentale) était principalement déterminé par… la direction des vents dominants au moment de la migration d’automne.

Même au cours de l’hiver, la Grive mauvis se déplace souvent, glissant par exemple petit à petit vers le sud-ouest de l’Europe si les conditions l’imposent. Ce nomadisme est lié à leur alimentation hivernale principale: les baies d’arbres ou d’arbustes, qui sont des ressources fluctuantes et d’abondance imprévisible. La fidélité à un même lieu d’hivernage n’a donc que peu d’avantage pour les espèces qui dépendent de telles ressources.

Alors que ce confinement se prolonge, il est peut-être encore temps d’observer ces fantastiques turdidés dans le fond de votre jardin ou dans la forêt près de chez vous. Les massifs de Lierre grimpant sont de toute façon toujours de bons endroits où observer en début de printemps ! Le site EuroBirdPortal vous permettra d’ailleurs de visualiser en direct où en est la migration de la mauvis en ce moment :

Restez au jardin, prenez soin de vous et bonnes observations !


(1) Analyse menée sur base des données de Grive mauvis issues du portail Observations.be entre 2009 et 2020, en Wallonie, encodées avec un comportement indiquant le fait que les grives étaient posées (i.e. « recherchant de la nourriture »). Ces données ont été croisées avec la couche des « écotopes » 2015 défini par le projet LIFEWATCH qui donne un indication résumée de l’habitat sur base de techniques de photo-interprétation (voir http://maps.elie.ucl.ac.be/lifewatch/ecotopes.html).

(2) voir Milwright, R. D. P. (2003). Migration routes, breeding areas and between‐winter recurrence of nominate Redwings Turdus iliacus iliacus revealed by recoveries of winter ringed birds. Ringing & Migration, 21(3),183-192.

(3) Alerstam, T. 1990. Bird Migration. Cambridge University Press, Cambridge, New York, Melbourne, 420 pp.

La Bergeronnette nordique, un bijou du mois de mai

Bergeronnette nordique, mâle - Nassogne 16/05/2015 photo: D. Vieuxtemps. Cet individu présente des marques sombres sur la poitrine, caractère variable chez cette sous-espèce.

Bergeronnette nordique, mâle - Nassogne 16/05/2015 photo: D. Vieuxtemps. Cet individu présente des marques sombres sur la poitrine, caractère variable chez cette sous-espèce.

Pour qui cherche dans les pattes des vaches, près des zones humides ou dans les terres de cultures, il est possible d'observer ce mois-ci une jolie variante de notre Bergeronnette printanière, la Bergeronnette nordique ou, selon son nom scientifique, la "thunbergi". Elle se reconnait, du moins chez le mâle, à sa calotte d'un gris-bleu très foncé, à ses lores sombres et au sourcil presque toujours absent. Cette sous-espèce se reproduit en Scandinavie et en Sibérie.

Il n'y a en fait pas beaucoup d'exemples où plusieurs sous-espèces d'une même espèce sont identifiables et facilement observables sur le terrain dans notre pays. Si on examine les données parvenues à la Centrale Ornithologique Aves, on s'aperçoit qu'il y a une forte différence de phénologie entre M. f. thunbergi et la sous-espèce nominale. Le graphe ci-dessous, tiré de l'analyse de plus de 17.000 données de Bergeronnette printanière en Wallonie, permet de visualiser ces différences.

Proportion journalière des observations printanières de Bergeronnettes printanières en Wallonie (période 1990-2015). Sources: Banque Ornithologique Aves _ Observations.be - OFFH 

Proportion journalière des observations printanières de Bergeronnettes printanières en Wallonie (période 1990-2015). Sources: Banque Ornithologique Aves _ Observations.be - OFFH 

Alors que la Bergeronnette printanière "flava" (celle qui niche notamment en Belgique) nous revient dès le début avril, la Bergeronnette nordique ne commence généralement à être observée en Wallonie qu'après le 20 avril. Sa fréquence d'observation culmine autour de la mi-mai pour s'achever brusquement dès la fin du mois. Elle est très rare en juin. Sa période de présence est donc beaucoup plus étroite que pour la flava; ne vous laissez donc pas induire en erreur par le type de graphe choisi ici (qui montre, pour une date donnée, la proportion de données sur l'ensemble des observations printanières collectées pour le taxon considéré depuis 1990). En réalité, même au moment de son pic du passage à la mi-mai, la thunbergi ne représente que 20 % des observations de Bergeronnettes printanières en Wallonie.

En fait, la Bergeronnette printanière nordique passe bien après la sous-espèce plus méridionale, puisque son habitat plus nordique n'est "disponible" que plus tard en saison.

Autre particularité, dans notre pays, cette sous-espèce est beaucoup moins fréquente au automne qu'au printemps: même lors de son pic de présence post-nuptial, à la fin août, la sous-espèce nordique ne représente que moins de 10% des données de Bergeronnettes printanières. Si vous avez une hypothèse d'explication pour ce phénomène, n'hésitez pas à poster un commentaire!

Bonnes recherches de thunbergi sur le terrain !