Faut-il massacrer les perruches à Bruxelles ?

Depuis de nombreuses années, les ornithologues bruxellois participent activement au suivi du développement des populations des perruches exotiques  qui se sont installées dans la capitale belge. Grâce à ce travail collectif, Aves est devenue une référence pour les autorités bruxelloises en ce qui concerne ces oiseaux. Les psittacidés exotiques sont souvent considérés comme des « espèces exotiques envahissantes », c’est-à-dire des organismes qui, après avoir été introduits par l’homme dans une région du monde où ils ne sont pas naturellement présents, se propagent dans les milieux naturels et causent des dommages aux espèces indigènes et aux écosystèmes locaux.

Conure veuve Myiopsitta monachus © Magalie Tomas Millan

Conure veuve Myiopsitta monachus © Magalie Tomas Millan

Cette problématique a été explorée dans un projet scientifique de collaboration internationale appelé ParroNet – European Network on Invasive Parakeets, auquel Aves était tout naturellement associé. Alors que ce projet arrive à son terme, les spécialistes de la question des perruches invasives se sont rassemblés une dernière fois lors du workshop de clôture en septembre dernier. À cette occasion, nous avons cherché à savoir ce que pensait cette communauté d’experts sur la position à prendre concernant la Conure veuve et la Perruche alexandre à Bruxelles. 

Pour rappel, il y a trois espèces de perruches exotiques se reproduisant en Belgique (consultez la fiche descriptive ici) : la Perruche à collier, largement répandue en milieu urbain avec même des populations dans d’autres villes (La Louvière, Anvers…), la Conure veuve, conservant un effectif restant très faible et localisé à Bruxelles, et la Perruche alexandre, en expansion mais dont les effectifs actuels sont encore limités. Étant donné leur effectif encore peu étoffés, ces deux dernières espèces pourraient éventuellement faire l’objet de mesures de gestion visant à les éliminer à un stade précoce de l’invasion. Mais est-ce justifié?

Les réponses du groupe d’experts n’étaient pas unanimes. La majorité pense qu’il faut agir sans délai, pour les deux espèces, de manière à ne pas devoir gérer de problèmes graves par la suite. Plus précisément, ces spécialistes (par exemple représentant de la RSPB et BirdLife) préconisent de les retirer du milieu naturel (le moyen restant ouvert). La capture et la stérilisation pourrait être la solution la plus éthique possible, mais elle implique un suivi minutieux afin de s’assurer qu’il n’y ait plus de reproduction. Lors des discussions, un point de vue diamétralement opposé a également été soutenu par d’autres spécialistes: sous nos latitudes, les perruches en ville n’ont qu’un impact négligeable sur l’écosystème et il est possible qu’elles ne posent jamais de problème (ailleurs, comme en Espagne ou en Israël, des impacts sur les récoltes agricoles ont été mises en évidence). En éradiquant  systématiquement ces oiseaux familiers pour beaucoup dans l’espace urbain, on supprime un bon moyen de mettre les citadins en contact avec la nature, y compris dans les zones les plus urbanisées. 

Un lien a été fait ici avec l’application du fameux « principe de précaution », évoqué par les tenants de la solution d’éradication. Cependant, la décision d’appliquer ou non ce principe de précaution ne concerne pas forcément le monde scientifique, mais relève plutôt des décideurs politiques. Le rôle des scientifiques est de détailler les implications des différentes options possibles, mais c’est au politique à prendre la décision finale.

Une recommandation importante fait par contre l’unanimité : il faut absolument limiter les risques de nouveaux lâchers et de nouvelles introductions en interdisant  le commerce des perruches et perroquets, car le lien entre risque d’invasion et commerce a bien été mis en évidence. 

Perruche alexandre Psittacula eupatria © Magalie Tomas Millan

Perruche alexandre Psittacula eupatria © Magalie Tomas Millan

Pour poursuivre la réflexion…

Signalons deux publications récentes en lien avec cette problématique, auxquelles Aves-Natagora a contribué directement.

  • D’une part, les résultats d’un travail de fin d’étude mené par Caroline Debois à l’ULg (Gemboux Agro-BioTech) viennent d’être publiés dans la très belle revue Forêt.Nature. Un inventaire des cavités arboricoles disponibles à Bruxelles semble indiquer que la forte augmentation des perruches exotiques cavernicoles n’a pas entraîné de limitation de la ressource en cavités pour les oiseaux indigènes qui en dépendent. Seulement 17 % des cavités détectées ont été occupées par des oiseaux en 2016.
  • D’autre part, une publication importante concernant directement la nouvelle règlementation européenne sur les espèces exotiques envahissantes  vient d’être publiée dans le renommé « Journal of Applied Ecology ». Cet article est le résultat d’un travail conjoint de nombreux experts européens dont des représentants de BirdLife auxquels nous étions associés. Il fera l’objet d’un futur post sur ce blog ! Restez donc attentifs…

Nos recherches sur les perruches sont réalisées grâce à l’aide de nombreux volontaires ornithologues et avec le soutien de l’IBGE Bruxelles-Environnement. Merci à tous !


Références : 
DEBOIS, C., CLAESSENS, H., PAQUET, J.-Y. & WEISERBS, A. (2017): Étude de la disponibilité des cavités pour les oiseaux cavernicoles dans la Région de Bruxelles-Capitale. Forêt.Nature, 144: 10-20 (tiré à part disponible sur demande ]
CARBONERAS, C., GENOVESI, P., VILÀ, M., BLACKBURN, T.M., CARRETE, M., CLAVERO, M., D'HONDT, B., ORUETA, J.F., GALLARDO, B., GERALDES, P., GONZÁLEZ-MORENO, P., GREGORY, R.D., NENTWIG, W., PAQUET, J.-Y., PYŠEK, P., RABITSCH, W., RAMÍREZ, I., SCALERA, R., TELLA, J.L., WALTON, P. & WYNDE, R. (2017): A prioritised list of invasive alien species to assist the effective implementation of EU legislation. Journal of Applied Ecology. DOI : 10.1111/1365-2664.12997 (cette article est en accès ouvert).
 

Faut-il craindre le virus USUTU ?

Moins de merles en été ? C'est normal, ils muent.

L’été est LA période de l’année où l’on observe le moins de merles. En effet, les adultes sont en mue complète ; ils renouvellent l’entièreté de leur plumage. Ce processus provoque la perte simultanée de plusieurs paires (symétriques) de rémiges et de plusieurs rectrices ce qui limite drastiquement, pour quelques semaines, leurs capacités de vol. Ils restent donc cachés dans les buissons afin d’éviter les prédateurs et de trouver de la nourriture et sont en conséquence très peu visibles.

Photo : Rudi Dujardin

Photo : Rudi Dujardin

Qu'est-ce que le virus USUTU ?

Usutu est un arbovirus (= arthropod-born = qui se propage via les arthropodes, en l’occurrence les moustiques) ; il provoque des encéphalites potentiellement mortelles chez les oiseaux. Il est tout à fait exceptionnel chez les mammifères et n’est pas du tout considéré comme présentant une menace pour la santé humaine. Il est originaire d’Afrique australe (Usutu = nom d’un fleuve). La colonisation de l’Europe par le virus USUTU est une réalité depuis 2001.

Plusieurs espèces d’oiseaux nichant dans nos régions le « rencontrent » certainement en hivernage depuis la nuit des temps. Ces fauvettes, hirondelles et autres cigognes ont très probablement développé une immunité qui limite la mortalité aux individus les plus faibles (immunodéprimés par exemple) dans un classique équilibre maladie-hôte. 

Il y a une petite vingtaine d’années donc, la maladie a été détectée pour la première fois chez des oiseaux sauvages en Europe et singulièrement en Autriche. Il semble que les Merles noirs ont été les plus touchés, mais rien n’indique que ce ne soit pas la conséquence d’un biais lié au fait que les merles vivent particulièrement proches des hommes et que la possibilité de trouver des individus malades ou morts est donc bien supérieure à celle d’autres espèces. Jusqu’à présent, une petite centaine d’espèces différentes d’oiseaux ont été diagnostiquées Usutu positif en Europe. Y compris de nombreux individus élevés en captivité. Ici aussi, il y a probablement un biais lié au fait que les éleveurs/zoos ont nettement plus tendance à faire autopsier les oiseaux morts que les naturalistes trouvant une dépouille (parfois pourrie) sur le terrain.

Les études conduites en Autriche ont démontré que l’épidémie trouvait son origine dans l’établissement du virus dans le pays. Qui dit établissement dit hivernage des moustiques infectés. Conséquence du réchauffement climatique qui permet à de plus grandes populations de moustiques (larves) qu’auparavant de survivre à l’hiver européen et donc de permettre la persistance du virus ? Très probable. Mais d’autres (mauvaises) habitudes humaines, comme la constitution de dépôts de dizaines de milliers de pneus formant autant de mini mares où peuvent hiverner les larves jouent probablement également un rôle. Le suivi en Autriche a ensuite démontré que les mortalités diminuaient drastiquement. Pourquoi ? Simplement car une immunité commençait à se développer (comme en Afrique). Pareil phénomène a été observé sur le continent nord-américain avec le très proche virus du West Nile.

Le virus USUTU est bien présent chez nous

La présence du virus Usutu a été pour la première fois diagnostiquée en Belgique en 2012 par la Faculté de Médecine Vétérinaire de Liège, sur un oiseau de captivité (Bouvreuil pivoine) et un Pic épeiche. Cela faisait suite à la détection de premiers cas dans l’Ouest de l’Allemagne au cours de l’été précédent. 

Une première véritable épidémie a été observée en Belgique en 2016, particulièrement en Flandre et singulièrement en Limbourg où elle a fait l’objet d’une étude systématique par la CERVA (Centre expertise vétérinaire SPF Santé publique) en collaboration avec Vogelbescherming et l’IRSNB à la demande de l’Agentschap voor Natuur en Bos (la DNF flamande). Des oiseaux ont été diagnostiqués positifs essentiellement dans le Nord-Est du pays, jusqu’à Bruxelles cependant. La situation observée a été fort identique à ce qui a prévalu en Autriche et dans les autres Etats-membres concernés depuis (une grande partie en fait). 

Une nouvelle épidémie semble se développer cet été, ce qui n’a rien d’étonnant. Les autorités flamandes ont d’ailleurs décidé de ne pas poursuivre le programme de suivi dirigé vers les merles considérant que la situation est claire au niveau de cette espèce. Par contre, il a été convenu  d’étudier la prévalence chez les autres espèces à partir du 21 août. Le but étant d’évaluer dans quelle mesure des souches d’infection se développent selon les espèces. 

Carte des merles morts encodés depuis le 01/08/2017 dans le portail www.observations.be

Carte des merles morts encodés depuis le 01/08/2017 dans le portail www.observations.be

En Wallonie, le virus se répand également. Le service de Pathologie Animale de l'Université de Liège a déjà diagnostiqué 17 cas de merles positifs sur 19 apportés pour analyse. Le problème semble moins important qu'en Flandre, mais la pression d'observation est également plus faible.
 
Une étude conduite aux Pays-Bas l’année passée a permis de constater que des oiseaux sauvages diagnostiqués positifs étaient négatifs quelques semaines plus tard. Ils avaient survécus et étaient donc guéris et très probablement immunisés. 

On peut donc conclure, dans l’état actuel des connaissances, que :

  1. le virus Usutu est devenu endémique en Europe depuis une petite vingtaine d’année et qu’il risque d’y persister vu son expansion géographique à la plupart des régions du continent,

  2. qu’il provoque des mortalités localement importantes d’oiseaux sauvages sans que des conséquences sur la dynamique des populations/espèces concernées soient avérées; l’étude des taux de mortalité des Merles noirs basée sur les reprises de bague est prévue et devrait permettre de progresser dans l’évaluation des conséquences,

  3. que la maladie n’est pas systématiquement mortelle chez les oiseaux sauvages et qu’une immunité dite de troupeau se développe aboutissant à terme à la chute du taux de mortalité,

  4. qu’il s’agit d’une maladie qui ne représente pas de risque réel pour la santé humaine et qu’à ce titre elle est incomparable à l’influenza aviaire qui combine une quadruple problématique : santé humaine/santé animale (conséquences économiques)/transport d’animaux de rente/conservation de la nature.

  5. qu’il s’agit d’un phénomène qui évolue naturellement (pas d’implication des oiseaux de rente par exemple comme avec l’influenza), après s'être établi en Europe probablement suite au réchauffement climatique,

  6. qu’il n’y a a priori aucune action à mener afin de faire chuter les mortalités si ce n’est éviter la persistance des larves de moustiques durant l’hiver. Mais la limite est ténue entre pareille action et les campagnes d’éradication des moustiques que l’on a connu par exemple en Camargue et en Grèce dans les années cinquante et qui ont abouti à l’assèchement des zones humides et au déversement de quantités inimaginables de pesticides dans la nature.

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Une vidéo d'un oiseau atteint du virus se trouve sur ce lien.

Si vous trouvez un oiseau qui a ces symptômes, plusieurs merles morts ou des cas suspects de la maladie, vous pouvez contacter la Faculté de Médecine Vétérinaire de l'ULg au 04/366.40.75 (8h30 à 18h00). N'oubliez pas d'encoder l'information sur www.observations.be en choisissant le comprtement "Trouvé mort" et en indiquant "USUTU" dans les commentaires. Si l'oiseau est bagué, contactez le centre belge de baguage en complétant le formulaire sur leur site web.

Aidez-nous à identifier les lignes électriques dangereuses pour les oiseaux

Depuis 2011, ELIA, Natagora et Natuurpunt travaillent ensemble pour limiter l'impact des lignes à haute tension sur la mortalité des oiseaux en Belgique. Natagora et Natuurpunt sont chargés d'identifier les points noirs et de proposer des aménagements pour limiter les collisions entre les oiseaux et les câbles. Un premier rapport identifiant les lignes problématiques se trouve sur notre site web et des actions concrètes ont déjà été mises en place.

Ce travail théorique se prolonge aussi sur le terrain pour confirmer les risques ou pour identifier des lignes dangereuses non détectées par les modélisations.

Photo : Dieder Plu

Photo : Dieder Plu

Une des missions menée actuellement est l'identification des zones à risques pour la Bécasse des bois. En effet, cette espèce au vol lent et crépusculaire lors de la croûle (parade nuptiale) apprécie les layons ouverts sous les lignes à haute-tension. Nous avons donc commencé à identifier les secteurs qui pourraient s'avérer dangereux, parce qu'ils traversent des massifs forestiers favorables à la bécasse. Des sorties crépusculaires ont été programmées sur certains sites pour vérifier la présence des Bécasses et leur comportement autour des câbles. Des mesures seront ensuite proposées à ELIA pour rendre les câbles plus visibles et donc moins dangereux. Si vous souhaitez participer à ce travail sur le terrain, vous pouvez encore nous contacter.

D'une manière générale, tout le monde peut contribuer facilement à l'effort d'identification des lignes noires! En effet, nous vous encourageons à signaler d'éventuels oiseaux morts trouvés sous les lignes via www.observations.be. Il est très important d'encoder de tels macabres découvertes en précisant le comportement spécifique "victime d'une ligne électrique" dans le champ "comportement". C'est aussi valable pour un oiseau qui abouti dans un centre de revalidation. L'important est aussi de localiser précisément la trouvaille.

Au 30 novembre 2016, 67 espèces d'oiseaux avaient déjà été mentionnées comme victimes de lignes électriques (collision ou électrocution). Le tableau ci-dessous montre le nombre d'observations pour chaque espèce. Vous pouvez constater vous même que certaines espèces rares et menacées sont concernées...

La carte présente la répartition des observations. La plupart des données se situent en Flandre où Natuurpunt a déjà mené une campagne de sensibilisation des observateurs.

carte_victime_ligne_HT.jpg

Il reste encore de nombreuses questions concernant les lignes électriques en Belgique : est-ce que nos modélisations sont suffisamment précises ? Y a-t-il d'autres espèces sensibles, en plus de celles que nous avons considérées jusqu'ici ?  Reste-t-il d'autres points noirs à identifier ? Quelle est l'importance de la mortalité liées aux lignes à basse et moyenne tension, gérées par d'autres opérateurs qu'ELIA ? Vous pouvez nous aider en signalant tout oiseau mort proche de lignes. Contactez-nous aussi si vous êtes intéressés par la recherche d'oiseaux sous les lignes précises, nous vous donnerons les détails des zones sensibles.