Le boom spectaculaire de la population de Grande Aigrette en Europe a profondément modifié le paysage ornithologique des campagnes wallonnes ces 30 dernières années.
Encore soumise à homologation jusqu’en 1997, l’espèce est devenue d’observation familière, même pour le grand public, autour des zones humides, mais aussi dans les plaines agricoles, l’oiseau appréciant particulièrement chasser les campagnols.
Photo Stéphane Bocca
La carte ci-dessous, tirée de l’Atlas des oiseaux nicheurs d’Europe (EBBA), montre la progression spectaculaire de la Grande Aigrette entre les années 1980 (EBBA1) et les années 2013-2017 (EBBA2). Les carrés bleus sont ceux conquis par des nicheurs entre ces deux périodes.
Une particularité de cet ardéidé réside aussi dans l’orientation de ses migrations, dirigées essentiellement d’est en ouest, alors que la composante nord-sud est très limitée dans ses mouvements saisonniers. Les oiseaux de l’importante population reproductrice d’Europe orientale se répandent ainsi vers l’Europe centrale et nos contrées en hiver. On devine très bien ce pattern sur la carte de l’atlas européen des migrations d’EURING ci-dessous.
Les reprises du baguage en Belgique (carte visible sur le site du Centre Belge du Baguage) montrent que les oiseaux visibles chez nous en automne-hiver proviennent souvent de latitudes semblables à la nôtre, mais situées plus à l’est: Biélorussie, Hongrie, Pologne…
Bref, ces élégantes silhouettes blanches deviennent de plus en plus visibles dans les plaines agricoles, en particulier dans les prairies riches en micromammifères.
Mais cet automne 2025, il me semblait remarquer un léger creux dans les observations autour de chez moi, dans le Condroz. Depuis peu, notre spécialiste “maison” en statistiques, Thomas Duchesne (un des herpétologues du Département Études) met au point une méthodologie qui permet de déceler des tendances dans les occurrences des espèces à partir des données “courantes”, c’est-à-dire essentiellement celles qui proviennent d’Observations.be (cette famille de méthodes statistiques s’appelle le “site-occupancy modelling”, vous en entendrez encore parler…).
À peine lui ai-je fait part de mes interrogations sur le héron blanc qu’il teste la question.
D’abord en prenant la période hivernale (janvier-février) sur les 13 derniers hivers:
Sans entrer dans les détails de la méthode, le graphe ci-dessus montre l’expansion de la Grande Aigrette en tant qu’hivernant en Wallonie entre 2013 et 2025 (période de fonctionnement en plein d’Observations.be), bien qu’une forme de stabilisation soit finalement visible.
Par contre, si on se focalise (ci-dessous) sur la période septembre-octobre, une forte inflexion se dessine en 2025 (à noter que ceci n’est qu’un résultat préliminaire, nécessitant un raffinage statistique).
On serait ainsi retourné une dizaine d’années en arrière dans la fréquence de la Grande Aigrette. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’elle soit redevenue “rare”, des dortoirs rassemblant plusieurs dizaines d’individus ont bien été signalés sur divers sites. Mais il semble bien qu’elle soit cet automne nettement moins omniprésente que sa courbe de progression nous avait habitué ces dernières années.
Dernière indication à considérer: le flux de sa migration active comptabilisé par les stations belges de suivi de la migration sur Trektellen. Là aussi on perçoit un léger recul, du moins après un automne 2024 de tous les records:
Le ralentissement se marque encore plus si on se focalise sur Honnay, une des stations suivies le plus régulièrement en Wallonie (située entre Famenne et Ardenne, juste à l’est de la Meuse):
Un phénomène à suivre donc, et qui pourrait n’être qu’un épisode plutôt qu’un coup d’arrêt dans la progression générale de la Grande Aigrette. Peut-être simplement les campagnols sont-ils particulièrement peu abondants cette année dans les prairies habituellement fréquentées par les aigrettes en hivernage ? Quelle est votre impression ?
Quoi qu’il en soit, continuez à ouvrir l’œil, même sur cet oiseau devenu fréquent, ne fut-ce que parce qu’il est magnifique à contempler !
Et continuez à l’encoder ;-) !
Merci à tous les observateurs et aux bagueurs qui se cachent derrière les cartes et les graphiques ci-dessus, ainsi qu’à Thomas Duchesne pour les analyses.
